
A - Production au Sein de l'Organisme

Le fil de soie de l’araignée provient des glandes séricigènes. En revanche, à cette étape, elle est loin de ressembler à la soie d’araignée telle que nous la connaissons. Il est vrai, entre les glandes et les filières, la protéine de la soie d’araignée est en cristal liquide(17). Et simplement en « tissant » cette protéine, elle va la transformer en un fil de soie, matériaux des plus solides au monde mais… gardons cela pour la suite. Les glandes produisent ce cristal liquide qui va se déplacer dans des sortes de conduits jusqu’à des milliers de tubes en forme de cheveux appelés des fusules qui constituent les filières. Il existe plusieurs glandes et donc, plusieurs conduits : une glande pour un conduit et une filière, soit environ 8 glandes.

Au niveau des filières, donc en passant par les fusules, sans que nous sachions comment, l’araignée va très rapidement « étirer, triturer, tisser, et sécher » le cristal liquide pour enfin en un très grand nombre de fils élémentaires, de 0.05 µm de diamètre, s'entrelacent pour constituer la soie. A cet instant, on appelle le fil « fibrille ». Le fibrille se solidifie grâce à l’action des ions hydrogènes, sodiums et potassiums(18) ajoutés lors du passage dans le fusule.

Vient l’action des « pompes » afin que les fibrilles de soie sortent des fusules. Chaque filière travaille par paires ; c’est donc l’addition de deux fibrilles qui vont former le fil de soie d’araignée de 2 µm à 70 µm. Elle utilise ensuite son poids et ses pattes arrières afin de produire un fil de soie optimal et de l'étirer suivant ses besoins. Justement, l’araignée peut modifier la qualité de son fil en fonction de son utilisation.


Formules topologiques de la glycine et de l’alanine composant la fibroïne.
La cristallisation du fil est facilitée grâce aux petites tailles de ses deux acides.
Les deux structures sont reliées par des structures non définies. C’est l’alternance de ces deux blocs qui donne à la soie cette propriété à la fois résistante et élastique. A noter tout de même que, plus l’araignée ira vite pour produire son fil, plus les protéines seront petites et donc plus faciles à aligner. Il en ressortira donc un fil plus solide.


Tout comme le nylon, la soie d’araignée, est un polymère composé de deux protéines : la séricine à 22,5% et la fibroïne à 63,5% qui sont des molécules organiques. Elles sont composées d’au moins une chaîne d’acide aminé, qui est elle-même est composée de plusieurs acides aminés constitués d’atomes.
Le reste, soit 14%, est un mélange de minéraux, d’eau, de colorants naturels et de matières grasses. Concentrons-nous sur les deux protéines :
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La chaîne de la séricine est composée d’acide aspartique, de sérine et de glycine. Elle constitue la partie extérieure du fil de soie, elle est peu soluble(19) et fibreuse : elle n’est donc pas à l’origine des incroyables caractéristiques de la soie, mais lui donne sa coloration et permet d’envelopper et souder les filaments de la fibroïne.
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La chaîne de la fibroïne, elle, est composée de l’alanine, à 29%, de glycine, 44%, et de sérine également. En revanche, la fibroïne constitue la partie centrale du fil de soie, aussi appelé le brin. Avec ses deux acides aminés, elle va former deux blocs aux structures différentes :
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Les blocs hydrophobes qui sont principalement constitués d’alanine. C’est grâce à ce bloc que la résistance du fil est telle. En effet, ce que l’on appelle des feuillets bêtas sont reliés entre eux par des liaisons hydrogènes formant une structure cristalline : le cristal liquide de la soie. Les feuillets bêtas sont des acides aminés qui prennent la forme de feuilles accordéons…
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Les blocs hydrophiles, eux, sont constitués exclusivement de glycines. Cet enchaînement d’acides aminés forme, quant à lui, une spirale appelée une hélice alpha qui est stabilisée avec, ici encore, des liaisons hydrogènes formant une structure amorphe. C’est qui donne l’élasticité de la soie.
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C - La Structure du Fil
Les hypothèses nous viennent de suite, tout le monde a déjà vu une toile supporter la masse de l’araignée plus celle de ses proies, ou alors, une toile remplie de lourdes gouttes d’eau sans casser… Voici quelques chiffres ; pour un diamètre de fil de même taille, le fil de soie d’araignée est, selon le type d’acier, 5 à 10 fois plus résistant. Et aussi, la soie est 3 fois plus résistante que le kevlar. Prenons un exemple concret : un fil de soie d’araignée du diamètre d’un pouce pourrait, théoriquement, soulever une dizaine d’autobus. Encore, une toile tressée avec un fil de soie du diamètre d'un petit doigt serait capable de stopper net un Boeing 747 en plein vol(25). Ceci est dû à l’extraordinaire élasticité du fil. Dans de bonnes conditions, le fil de soie est capable de s’allonger jusqu’à quatre fois sa taille avant de casser. En revanche, pour ce qui est des toiles : la résistance est aussi due à l’ingénierie géométrique de ces dernières. Il n’empêche que, grâce à son élasticité, l’araignée s’assure de se nourrir : si la toile était « simplement » solide, les proies cogneraient dessus et retomberaient. L’élasticité permet de laisser le temps à la toile de coller les proies.
Cette caractéristique est rendue possible grâce aux hélices alpha qui font réagir le fil tel un ressort. On estime que la soie est étirable entre 30% et 200%. La soie, lorsqu’elle est soumise à un étirement, distingue deux comportements :
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Le comportement élastique : où la déformation est proportionnelle à la force exercée
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Le comportement plastique : où, au-delà d’une certaine force, le matériau se ramollit et où la déformation est irréversible.
Dans un cas classique d’autres matériaux, il passe d’abord par la phase de comportement élastique puis par la phase de comportement plastique où il rompt : et cela pour n’importe quel matériau. Or, voici le schéma du fil de soie d’araignée :
D - Les Caractéristiques de la Soie
Au départ, la soie à bien un comportement élastique, puis plastique mais, au lieu de rompre, la soie redevient très solide. Ceci est dû, encore une fois à la composition du fil. En effet, l’hélice Alpha, à force d’être soumis à une force, va s’aligner et donc devenir des feuillets bêta.
Malgré la résistance de la soie, sa très faible densité la rend très légère, elle est par exemple six fois moins dense que l’acier, et plus légère que le coton ! Pour illustrer cette légèreté, Fritz Vollrath, un chercheur de l’Université d’Oxford, a déterminé qu’un fil de soie d’araignée qui ferait le tour de la Terre, 40 075 km à l’équateur, ne pèserait que 420 g.

Beaucoup de personnes ont du mal à percevoir les toiles d’araignée. Pour cause, rappelons que son diamètre varie entre 2 µm et 70 µm. Beaucoup d’arachnologues(20), pour ne pas passer à côté de magnifiques toiles, rodent tôt le matin, lors de la rosée et en contre-jour pour percevoir les toiles. De faite, la soie d’araignée est extrêmement fine. En comparaison, un cheveu varie, selon l’âge, de 40 à 100 µm. Donc, si l’on fait une moyenne, le cheveu à un diamètre de 70 µm contre 34 µm pour la soie d’araignée. Certains scientifiques aimeraient utiliser sa fine épaisseur pour la nanotechnologie(24). En pulvérisant des nanotubes de carbone dessus, le fil deviendrait très conducteur et pourrait répondre à des applications électroniques miniaturisées.
Le fil de soie d’araignée possède une propriété unique en son genre : la super concentration. La soie est capable de s’élargir et de rétrécir en fonction du taux d’humidité(21). Si l’humidité dépasse les 70%, alors la toile se contracte en quelques minutes. Aussi, elle peut se rétracter en quelques secondes si la toile est en contact avec de l’eau. Pour l'exemple extrême, les toiles de Nephila Clavipes(22) se contractent de moitié lorsque le taux d’humidité est à 100%
Dans les différents types de fils, on a vu que celui permettant de réaliser la spirale de la toile était collant. C’est une sorte d’enduit aqueux reparti sur tout le fil. Plus précisément, de minuscules gouttes de colle se trouvent partout sur le fil en faisant l’une des colles biologiques des plus puissantes. La science actuelle ne permet pas de répondre à beaucoup de questions sur ce sujet. En revanche, des expériences ont été réalisées prouvant que l'araignée possédait des matières grasses et antiadhésives au bout de ses pattes lui permettant de ne pas rester collée sur la toile(23).
Autre impressionnante vertu de la soie : la mémoire de forme. Il est vrai que si l’on étire un matériau, par exemple du plastique, il va garder la nouvelle forme que nous lui avons donnée. C’est aussi le cas du fil de soie d’araignée mais… le lendemain, le fil aura repris sa position initiale. Cela serait dû à la structure tridimensionnelle des protéines constituant le fil possédant une infinité de liaisons d’acide aminé réversible. En se basant sur cette théorie, toutes les protéines pourraient posséder cette mémoire de forme : plusieurs scientifiques aimeraient faire les tests sur l’ADN ! Donc, la toile d’araignée revient sur sa forme originelle. Ainsi, l’araignée peut se déplacer suspendue à son fil sans qu'elle vrille.
Nous avons vu plus haut qu’un des types de toiles servait à l’araignée de se protéger de l’hiver : de surcroit, le fil de soie d’araignée possède une grande isolation thermique. C’est aussi grâce à cette propriété que les œufs vont pouvoir se développer convenablement dans de bonnes températures.
Enfin, bien que surprenant, la soie est comestible. Si l’araignée ne trouve pas d’insecte, elle va pouvoir se nourrir de sa propre soie. Il pourrait en être de même pour les humains. Plusieurs tests ont déterminé que la soie était recyclée de 80% à 90% après la demi-heure de l’ingestion.
Désormais, nous possédons suffisamment d’informations sur les matériaux à remplacer, l’araignée en elle-même, ainsi que les méthodes de productions. Nous pouvons donc passer au vif du sujet, par le biais d'expériences réalisées par nos soins, afin d’établir ce que nous venons de dire. Pour commencer, voyons comment obtenir du fil.
On estime qu’il existe huit grandes catégories de fil de soie. L’araignée peut décider d’activer seulement certaines glandes pour lui donner le fil souhaité. En effet, chaque glande correspond à une catégorie de fil. Parmi ces fils, l’araignée peut produire :
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Un fil résistant pour réaliser la structure de sa toile ; le fil qui nous intéresse et intéresse la communauté scientifique.
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Un fil collant pour que les proies se prennent aux pièges de la toile
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Un fil protecteur pour l’extérieur du cocon
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Un fil doux pour l’intérieur du cocon
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Un fil pour envelopper ses proies
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Et un fil de déplacement